Mercredi 30
août,
16 heures Troisième jour de popularité
La Gazette de Bloomville sort l’après-midi, et j’ai pu vérifier la pub dès mon retour à la Librairie du Tribunal, où je travaille de seize à vingt et une heures tous les mercredis soir. Avant de regarder l’endroit où j’avais demandé qu’on encarte ma réclame (en face des BD et du courrier des lecteurs, parce que c’est ce que tout le monde lit en premier), j’ai remarqué une photo de l’observatoire en une. Le gros titre disait : « Un mécène local fait don de l’observatoire, qu’il dédie à sa future femme. » Il y avait aussi un cliché de grand-père à l’intérieur du bâtiment, bras grands ouverts en direction de la rotonde, sourire aux lèvres.
Je l’ai aussitôt appelé.
— Belle histoire, ai-je lancé quand il a décroché. Ça va faire pleurer dans les chaumières.
— Ronald Hollenbach, a-t-il précisé, le vinaigre à la bouche.
— C’est ça. Le pépé de Jason. Je me demandais… comment as-tu fini par la lui ravir ?
— Fastoche ! Il a clamsé !
— Ah.
Flûte ! Voilà qui n’allait pas beaucoup m’aider à arracher Mark Finley des griffes de Lauren Moffat. Ce que je ne considérais pas du tout comme sournois, dans la mesure où Lauren est une garce finie, et Mark le garçon le plus gentil de la ville. Il mérite mieux qu’elle. Même s’il ne s’en doute pas encore.
— Tout le pognon de ces gens de l’hypermarché a aidé aussi, a précisé grand-père. Kitty apprécie que je l’emmène manger un steak au country club de temps en temps.
— Bien reçu. (Il faudrait que je vérifie l’efficacité du steak.) Mais bon, tu as quand même dû la charmer, non ? Comment t’y es-tu pris ?
— Je ne peux pas te le dire, ta mère me tuerait.
— Elle en a déjà envie, ai-je objecté, tu ne risques plus grand-chose.
— Pas mal raisonné, ma fille. Eh bien, disons que nous, les Kazoulis, nous sommes des gars au sang chaud, et nous savons nous y prendre pour satisfaire une femme.
Je m’en suis étranglée avec ma glace.
— Merci, grand-père, ai-je balbutié, une fois mon souffle retrouvé. Inutile de me faire un dessin, j’ai pigé.
— Kitty a des besoins, tu comprends, et…
— Je sais, je sais, me suis-je empressée de l’interrompre. (Il avait suffi que le fameux Livre s’ouvre de lui-même sur ces étranges turqueries pour que je le devine – apparemment, c’était un passage qu’elle avait lu et relu.) Merci pour ces conseils très utiles, grand-père.
— Certes, tu es à moitié Landry, a-t-il poursuivi, tout à son idée. Mais tu as au moins cinquante pour cent de Kazoulis en toi. Alors, ça ne devrait pas t’être très difficile de…
— Oups ! Un client vient d’arriver ! ai-je menti. Faut que j’y aille. À plus !
J’ai raccroché, puis me suis perdue dans la contemplation du téléphone. Si grand-père est un chef pour les questions financières, en matière de cœur, il laisse à désirer. J’allais être obligée de me débrouiller toute seule pour découvrir comment piquer Mark à Lauren.
— Ômondieu, Steph, tu connais la dernière ? m’a lancé Darren, tout émoustillé, en se précipitant vers moi. D’après Shelley, du glacier, le lycée a organisé une vente aux enchères d’esclaves.
— Arrête de délirer ! ai-je riposté en lui fourrant la pub sous le nez. Ce sont des enchères du talent. Les gens proposent leur savoir-faire à la communauté, qui achète ou non. Rien à voir avec… autre chose.
— Oh ! a-t-il lâché, visiblement déçu. Explique-moi un peu comment tu es tellement au courant.
— Parce que c’est moi qui en ai eu l’idée, et que je m’en occupe.
J’ai essayé de ne pas trahir ma fierté, car le Livre affirme que de la fierté à l’arrogance il n’y a qu’un pas, or l’arrogance est la dernière chose dont a besoin une fille populaire.
— Toi ? s’est exclamé Darren. TOI ? Mais tu…
Il s’est interrompu.
— C’est bon, vas-y.
— Excuse-moi ma chérie, c’est juste que tu es une telle Steph Landry !
— Plus pour longtemps ! ai-je assené avec une assurance absolue.